Se creuser en dedans

J’ai frôlé l’implosion. Je n’ai aucune idée de combien de temps j’ai devant moi avant que cela se produise, ou si j’ai suffisamment désamorcé pour y échapper.
Je me suis mise à pleurer, pour rien et tout.
J’ai pleuré sur des livres, en trottinette, sous la douche, en prenant le courrier, à la médiathèque, dans la rue, sur le canapé, la nuit, le jour, dans ses bras. Débordement soudain, sans lien, sans prise, comme ça.
Et la pression, plus forte, à l’intérieur. Chaque fois.
En moi, la chute. Inscrite. Insaisissable.
C’est monté d’un cran à la médiathèque, une histoire de livres disparus (qui ne l’étaient pas), ça a atteint un sommet dingue lorsqu’une femme s’est interposée sur mon passage avec une règle stupide et que j’ai remise à sa place sans m’énerver (mon dieu son visage, je regrette) alors que je désirais l’écharper, la violence est montée pendant que je faisais le tour d’un bâtiment alors que ça n’avait aucun sens, et j’ai failli déconner avec l’agent de sécurité qui se prenait pour un cowboy. J’ai senti la bascule. Le hurlement que je ravale avec le peu de maitrise qu’il me reste. Et finalement demander les clés à mon mari, rentrer me mettre en sécurité dans la voiture et pleurer sans que la pression ne retombe.

La terreur à l’idée du cyclone qui va me, nous, tomber dessus.

Je me suis souvenue de ma pire crise, celle qui me terrifie depuis. Celle où je me suis totalement déconnectée – vous saviez-vous, qu’on pouvait quitter son corps ? Que l’univers était entièrement noir ? Qu’on pouvait perdre les contours de soi ? Et de l’ensuite. Lorsque je suis retombée dans mon corps. Comment j’ai dû tromper mon cerveau pour l’apaiser, me remettre. Me reconnecter. Comme si tout allait bien, comme si la bascule n’avait pas eu lieu, comme si je n’avais pas déconné avec la flic et qu’elle m’avait gentiment parlé. La visualisation d’une autre ligne de temps, parallèle, où tout est bien. C’est comme ça que je me suis remise droite, ensuite.

Je l’ai travaillé ce matin, méditation, visualisation, soin. J’ai un trou béant dans la poitrine, tellement grand on pourrait y ranger notre galaxie. Ce trou m’avale, et si j’implose c’est là que je tomberai, la déconnexion brutale et la perte totale de mon être. Dissociation, dirait-elle.
Comment expliquer aux autres, ceux qui assistent à, que ça n’a rien avoir avec eux et tout avec moi. Que l’extérieur n’est qu’un détonateur. Que je meurs un peu chaque fois, phœnix. Que les hurlements ne sont là que pour rester en vie.

J’ai pris soin de ce trou noir, des morts qui le peuplent, de ma détresse, de ces trop, des amitiés qui s’enfoncent, de la solitude, de la tristesse, de la souffrance, de celle que je suis, de celle que j’ai été, de celle qu’on a abusé, j’ai regardé celle qui a détruit l’enfant, celui qui m’a tuée une fois, celui qui m’a tuée 2191 fois*, je me suis vue hurler et tout casser autour de moi, hurler et détruire, hurler hurler hurler, massacrer broyer anéantir, hurler jusqu’à ne plus pouvoir user la voix, briser jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, hurler et fracasser, et c’est moi que j’ai terrassé, à la fin.

Je ne pensais pas cela possible, mais. Le plus gros de la pression est retombé.
Sauf que j’ai mal, très mal, dans la poitrine.
Rien ne me parait réglé, plutôt en suspens. J’ai reculé du point de bascule.
Et maintenant ?

* chiffre qui fut calculé le 5 mars 2016, approximatif, sérieux, brutal

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