Dans les reflets de la mère, l’écueil du pas à pas

Il y a eu une valse de synchronicités qui m’ont fait converger vers un retour à l’art après ces quelques mois de vide. L’un est arrivé par sms, une lointaine amie s’est mise à la peinture et en me montrant ce qu’elle faisait, cela m’a replongée dans mon envie de peindre. Sans m’y mettre. Le second est venu d’un challenge sur instagram, le premier (m’ayant lancée dans) est venu d’un article de Eliness sur lequel j’ai accepté d’être un peu bousculée. Je me suis dit, moi aussi je peux. Comme je ne peux pas vraiment (je vais développer plus tard), je suis allée chercher un cours sur Skillshare et je me suis attaquée aux personnages, point noir pour moi (punaise, c’est dur le vivant).

5 cm, la peinture

C’est que je peine. À prendre un pinceau, sortir l’aquarelle du tiroir, trouver le carnet qui ne boulochera pas, trouver le sujet, me lancer. Les deux derniers points sont les plus difficiles, souvent j’ai sorti mon matériel pour rien, le blocage. La tête prise dans un étau et le blocage.

Une partie du problème vient de sa voix dans ma tête, l’enfance puis l’adolescence qui surgissent et elle qui me dit comme je ne sais pas dessiner, comme j’ai du travail, comme c’est mauvais ce que je fais (non mais là c’est trop gros, trop petit, décalé, la perspective c’est pas ton truc, en fait je préférais avant que tu effaces) elle me disait comme je ne peux rien en espérer. Comme je devrais abandonner, surtout. Et je l’ai fait, j’ai abandonné le dessin une vingtaine d’années sur une reproduction d’Aladdin qui m’avait pris des heures ; j’avais raté le visage de Jasmine et elle, elle me disait que c’était essentiellement le reste, que j’avais foiré. Je me souviens encore de l’arrêt, dans ma tête. Le à quoi bon. Si je suis nulle à ce point pourquoi continuer ?
Depuis, je continue le travail de sape toute seule. Chaque fois que je montre un dessin à une personne ou sur internet, je pointe directement les défauts, je les signale avant qu’on ne me dise « c’est pas un peu foiré là, le pétale ? », si complètement, c’est foiré. Une catastrophe. Une amie m’a dit (puis une personne sur Instagram, aïe) que j’étais dure avec moi, que je pointais les défauts mais que c’était très bien… je ne sais plus regarder ce que je crée sans voir et dire les erreurs. Je ne sais plus.
Et donc, ce dessin d’Aladdin…

D’après une lithographie, février 1998

Étrangement (parce que je ne me souvenais pas, pour moi l’arrêt définitif est sur Aladdin), je suis tombée à la suite sur d’autres dessins que je ne lui ai jamais montré j’en suis certaine, j’ai continué encore un peu le mois qui a suivi, un unique en mai et puis plus rien. Le dernier, véritable dernier, est une reproduction agrandie du dessin (en relief) imprimé sur mon faire-part de naissance. Pas anodin.
Il est pratiquement effacé par le temps. Je devrais peut-être le passer au feutre.. ?

un peu noirci pour qu’on le voit

À cette époque, je dessinais sur de grands formats, du 24 x 31 cm et ce dessin prends une grande part de la page. Cela me perturbe, je n’ai jamais réussi à dépasser le A5 en peinture, encore un blocage. Je m’invisibilise.

Et alors, vingt ans de silence. J’ai posé mes crayons, abandonné mes carnets, j’ai laissé l’art et la création à ma famille (mon grand-père était peintre et dessinateur autodidacte, contrarié par des parents qui lui ont toujours refusé les études d’art, il avait un don pas possible à égaler) et ma tante est une couturière si douée que je n’ai jamais réussi à m’approprier ce chemin (elle-même n’a jamais réussi à peindre, elle m’a donné son matériel d’huile il y a deux ans). À la mort de ma mère, j’ai découvert qu’elle s’était lancée dans l’acrylique, elle avait de la peinture partout, un seul tableau peint, des pinceaux épuisés au milieu des papiers, des tubes jusque dans son cagibi à produits ménagers (le bordel que c’était). La création vient nous chercher, mais on peine.

J’ai repris le chemin il y a quelques années, pas le dessin mais la peinture – ce qui est un leurre, on reprend forcément le dessin lorsqu’on passe par la peinture. J’ai commencé l’aquarelle par les crayons (cette blague quand même), et très vite cela ne m’a pas convenu et je me suis tournée vers les godets avant de glisser vers les tubes (oui oui il y a une différence). Quelques mois, avant de m’arrêter. J’ai repris, puis arrêté. Et encore repris, encore arrêté. C’est ma troisième année, ou ma quatrième qui débute peut-être. Je n’ai aucun suivi, je peins un mois ou deux et je n’y arrive plus, tout est nullissime à mes yeux. Lorsque je regarde en arrière je vois ce que j’ai peint et je me demande si c’est vraiment moi parce que c’est réussi, en fait. Pour quelqu’un qui n’a pas pris de cours et n’a jamais dessiné et peint de manière continue, je m’en suis sortie honorablement.

L’année dernière j’ai pris quelque cours avec Skillshare, sur un compte payé par une amie (et à peine par moi), j’ai progressé plus vite, j’ai même appris à peindre de manière réaliste des champignons dont je suis extrêmement fière (mais j’ai bien en tête les défauts, pas de souci). Et puis je me suis arrêtée et j’ai tout oublié, jusqu’à comment tenir un pinceau. Vraiment tout oublié. Impossible de reproduire ce même champignon, sans reprendre le cours, et impossible de reprendre le cours parce que je ne suis pas capable. L’année dernière, ça ne devait pas être moi, l’artiste qui a réussi ça.


Et c’est là, sur une suggestion de cette même amie, que j’ai compris un de mes plus gros problèmes de fonctionnement interne : je souffre de troubles des fonctions exécutives. Pour le sujet qui nous occupe, je suis complètement incapable de prendre un pinceau et peindre parce que je ne sais pas par quoi commencer (mais ça vaut en cuisine, où je suis incapable de créer quoi que ce soit, il me faut une recette (que je ne suivrai pas à la lettre, mais il me faut cette base). Cela implique qu’après chaque arrêt, reprendre est très compliqué puisque je ne sais pas par quel bout prendre la chose.

J’ai donc fait un test, et c’est venu du thème du challenge sur Instagram (tout est lié, toujours). Le sujet était le carnet de voyage, hors justement je rêve de savoir en créer un, sans être jamais parvenue à m’y plonger. L’effet de ce type d’ouvrage est particulier, au premier dessin on sait qu’on a affaire au carnet de voyage de la personne, pourquoi ? Qu’est-ce qui différencie une peinture d’un carnet ? Impossible pour moi de comprendre. J’ai visionné des vidéos sur YouTube, regardé des cours sur Skillshare, trouvé des blogs et même des livres, je n’ai jamais compris comment reproduire et ça fait bien trois ans que je suis sur le sujet.

Thème Instagram : carnet de souvenirs de ThaIlande


Cette histoire de fonction exécutive – ou syndrome dysexécutif – m’ayant fait réfléchir, j’ai regardé une vidéo sur Youtube avec deux objectifs : réussir le challenge d’insta et comprendre les étapes. Puisque c’est là que mon cerveau s’enraye, je dois décomposer les gestes. Et j’ai compris. J’ai compris le carnet de voyage !



Je suis diablement vexée, vous n’avez pas idée. Un enfant de cinq ans aurait compris tout seul, seulement voilà, moi, j’ai quatre ans : on dessine, on repasse au stylo/feutre résistant à l’eau, on peint une partie du dessin.
Voilà. C’est tellement simple, ça fait mal. Je ne sais pas si je dois me féliciter ou pleurer d’en être là, à devoir définir les étapes qui sont accessibles au commun des mortels, je ne sais pas dessiner ni peindre si on ne me donne pas les étapes, et si ma mère l’avait compris elle m’aurait bien descendue en flèche sans même franchir la case « c’est moche ce que tu fais ». Incroyable que ce ne soit pas passé sous son radar.

Alors, voilà.
Deux points, énormes, à travailler :
. faire taire la voix maternelle devenue ma propre voix, je ne suis pas nulle ni une incapable, je suis une artiste, je dessine, je peins, je crée. Je souhaite arrêter de me dénigrer, et me concentrer sur mes réussites, la beauté du chemin. M’amuser.
. Comprendre les étapes des choses, décortiquer et intégrer. Je vais me créer un carnet où je vais noter les étapes de ce que j’ai compris, pour les jours où je vais oublier. Et je vais l’appeler « Quand je crois que je ne sais plus faire ».

Le plus difficile ? Passer l’étape « je peux », soulever cette masse d’inertie qui me paralyse.
Mais je peux, n’est-ce pas ?
Je peux.

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