Déséquilibres

Je découvre des tonalités de silence au milieu d’appels que je n’attendais pas. Je reçois des appels ou des sms de l’association, ils prennent des nouvelles de mon absence. Je dis sans dire, l’insupportable de l’infiltration. La plupart compatissent sans connaître, un collègue de mon mari me dit que c’est l’enfer dans le cou, il sait. L’une de l’asso me répond par les dizaines qu’elle a faites dans un tas d’articulations et que ça ne lui a pas fait spécialement mal. Savez-vous votre chance de résister à la douleur ? J’ai pensé aux fenêtres, moi. Je n’ai pas dit l’état de choc sur la table, rien dit des minutes qu’il m’a fallu pour émerger et comprendre qu’il me parlait, que c’était quand je voulais – pour quitter la salle. La sensation d’une balle tirée dans le cou, le trou d’air dans la respiration pendant une demie seconde, perdre le souffle. Le reprendre, haché. Et le manipulateur radio qui me demande presque en boucle, en réponse à mon état catatonique, ça a réveillé la douleur dans les cervicales, n’est-ce pas ? Non. Même pas. Ça viendra plus tard, il faudra quelques heures et je ne pourrai plus lui dire qu’effectivement c’est le cas et que je vais en crever, merci. Pour l’instant la douleur est dans le cou, à l’impact, il y a une balle glissée dans ma chair et ma réponse ne lui convient pas. Je souffre jusque dans l’oreille d’une déchirure dans l’espace-temps et la mort m’a regardée dans cette demi-seconde. Elle s’est détournée aussi vite de ce qui n’était en réalité qu’un ressenti, mais est-ce que ça compte ?
La violence, bordel.

La minerve vendue par la pharmacie a comme rétréci au lavage, m’a-t-elle vu si minuscule ? Il y a bien un homme adulte sur la photo, mais le manipulateur a ces mots, perplexe : mais c’est une minerve pour enfant ? Nous pouvons en rire, parce que l’ayant moi aussi constaté avant de me déplacer, j’ai fouillé et retrouvé une minerve dans mes affaires qui a plus de quinze ans mais est parfaite, elle.
Je suppose que je dois pouvoir en déduire que je ne le suis plus, une enfant.

Les jours passent, l’eau s’effondre des nuages, un gros chat terrorise la minette jusque devant la chatière, et le téléphone chante un peu trop. Ma famille brille par son absence à l’exception de ma tante-marraine qui prend des nouvelles par sms, ma belle-mère viendra le troisième jour et septième jour, le téléphone sonne de différentes personnes de l’association et Blanche s’inquiète tous les jours. Je ne vais pas mieux. Ou pas franchement mieux. Ou lentement mieux. Je n’ai guère de patience. Dix-sept jours et je ne peux toujours pas rester debout sans souffrir, je ne peux pas tenir un livre plus de quinze minutes, je regarde une série pas formidable mais ayant le mérite de faire beaucoup de saisons, je m’ennuie passablement. Mais je bouge le cou alors, est-ce que ça va ? Est-ce que c’est normal d’avoir toujours autant mal ? La lenteur de mon corps contre la rapidité des autres. J’attends, mais les fins de journée plongent dans la douleur et je commence à stresser. Un peu. Juste ce qu’il faut pour le garder en tête et me rappeler que je ne fais décidément rien comme tout le monde et que c’est lourd, parfois.

J’ai pourtant progressé, mais le mieux est le même depuis une semaine, ça n’avance plus. Il faut dire qu’au milieu, quelque part entre le canapé et ma série, un piratage de la boite mail de l’ado nous a bousculés (suite au piratage de son serveur discord deux jours avant, un effet domino). Je suis restée debout à voyager d’une pièce à l’autre, d’un ordi à l’autre, penchée sur un clavier, j’ai stressé comme une dingue pour la carte bleue quand son compte Steam nous a fermé les portes avec un mail qui n’était pas le nôtre. Nous ne laissons jamais de cb derrière nous, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur (et puisqu’on en parle, en fouillant tous les sites liés à cette fameuse boîte, nous l’avions laissée sur un site (multiplié par 4, puisque 4 comptes), voilà, erreur sans conséquence, ce site très connu n’a pas été vu par le hackeur, mais erreur tout de même). J’ai stressé et j’ai subi la douleur comme le jour d’après l’infiltration, pendant deux jours. Pour rien, nous avons récupéré Steam en prouvant que j’étais bien moi (cette manœuvre a le don de me rendre perplexe chaque fois, comment puis-je prouver que je suis moi, si moi-même j’en doute ?), il n’y avait pas de cb enregistrée, et l’affaire s’est arrêtée là.
Enfin, oui et non. Il a fallu tout changer, le mail, les mots de passe, partout, créer des mails ailleurs qui acceptent la démarche et ne demandent pas de téléphone. À la suite de quoi je suis allée vérifier mes boites mails ici (je vous encourage à le faire aussi), et j’en ai trouvé cinq compromises. L’épuisement que c’est, vraiment, les failles des autres.
Alors j’ai changé un mail après l’autre, j’ai épluché tout le net, détruit des comptes parfois vieux de dix ans, envoyé des mails pour que mes données soient effacées, je me suis refabriqué une identité, presque. J’existe sur internet, ou disons ma capacité d’achat existe sur internet. Ce qui est une capacité d’achat possiblement usurpable à chaque site, c’est simplement vertigineux.

Je n’arrive pas à me poser en mots, je m’échappe. Je suis fatiguée. Douloureuse. Contente de l’avoir fait et agacée, aussi. Agacée de m’être fait si mal pour une histoire de hack et d’argent, d’avoir retardé ma guérison sans doute, agacée d’avoir toujours autant mal, et dans le refus total de repasser un jour par une infiltration. Je ne compte plus les personnes qui m’ont déjà demandé si une deuxième était envisagée par mon médecin, mais personne ne m’a demandé si moi, je l’envisageais. Je vais y mettre toute la douceur, la patience, la délicatesse qu’il faudra, je m’achèterai un bras articulé pour tenir mon téléphone ou mon livre si je n’ai pas le choix, je vais me coller au canapé un coussin sous la nuque pour le mois qui vient et celui d’après s’il le faut, j’y mettrai le temps qu’il faudra pour me remettre, mais une autre infiltration, c’est non.


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. Vérifier ses emails : have i been pwned? Site créé après une faille ayant permis un hack de 38 millions d’utilisateurs en 2013 chez Adobe. Depuis, ils répertorient les failles et permettent de savoir quels sont les mails compromis, mais aussi les noms d’utilisateurs lorsqu’ils servent à la connexion. Ne le prenez pas à la légère, supprimez ces mails : les risques sont très importants.
. The Bulwer Lytton Fiction Conteste : j’ai découvert le prix des pires incipits jamais écrits, décerné chaque année. C’est à la fois drôle et consternant. Je me demande à quoi ressemblent les livres, après de telles premières phrases…
. Pour les amoureux de la langue : un atlas sonore des langues régionales et mondiales
. Musique : Death Valley – My Jerusalem, Guiding Light (remix)

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